mercredi 24 août 2016

Béton

 Son bas était déchiré. Une microfissure dans le nylon laissait deviner la pâleur laiteuse de sa cuisse. Ce détail serait sûrement resté inconnu à Jean-Philippe s’il n’avait pas longuement étudié chaque parcelle de son anatomie. Il l’avait tant reluquée qu’il connaissait maintenant par cœur chacun des faux plis de son chemisier de coton blanc et les marques de craie sur l’arrière de sa petite jupe fleurie éveillaient en lui une vigueur qu’il ne se connaissait jusqu’alors. Il ignorait comment elle y arrivait, mais, chaque jour, ses vêtements conservaient les vestiges d’un tableau noir blanchi par les formules et théorèmes. Comme il aurait souhaité pouvoir assister à ces moments où, avec aplomb et délicatesse, elle décortiquait l’essence du programme aux trente corps trop grands, trop mous, trop blasés assis dans sa classe !

Depuis les huit mois qu’elle avait déposé ses boîtes dans l’école, l’ambiance du département avait changé. À ses yeux, elle était venue saupoudrer une touche de fantaisie entre ces mûrs de béton insipide. Jamais l’idée de prendre son premier café du matin en compagnie des collègues n’avait traversé l’esprit de Jean-Philippe, lui qui arrivait tout juste avant la cloche annonçant le début des cours. Jamais non plus il n’avait senti de réelle connexion avec un autre membre de son espèce enseignante, lui dont la solitude gagnait chaque année un peu plus de terrain. Avant elle.

***

C’était jour de printemps. Les fenêtres ouvertes de la salle des enseignants laissaient une chaude brise envahir la pièce. À l’occasion, une bourrasque faisait voler les feuilles qui jonchaient son bureau surchargé et son rire de cristal résonnait quelques secondes, le temps qu’elle remette de l’ordre dans ses piles d’examens. Il la soupçonnait d’apprécier secrètement ce manège puisque, toujours, le même scénario se répétait. Il lui était déjà venu en tête de lui proposer son agrafeuse en guise de presse-papier, mais alors, il se serait privé du plus beau des spectacles.

L’esprit en cavale et le cœur en floraison, il quitta le bureau pour regagner sa salle de classe. Il lui restait deux périodes à enseigner avant la fin de la journée. Et quarante-trois jours d’école pour l’aborder.

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