L’hiver avait été plutôt féroce jusqu’à présent. Il ne
restait des peaux roussies par le soleil, des cheveux aux éclats de cassonade
et des perles de sueur au coin des tempes qu’une si vague impression qu’on en
venait à croire qu’ils n’étaient que machination d’un imaginaire givré,
désespéré de s’accrocher à quelque illusion de chaleur que ce soit.
Clémence, comme chaque matin, y allait de sa routine polaire.
Méthodiquement, elle enfilait des combines sous ses jeans et des bas de laine
dans ses bottes doublées de fourrure. Puis, elle revêtait son épaisse chemise
de chasse sous son manteau. Le tout était couronné d’un imposant foulard qui ne
laissait entrevoir qu’une petite lueur verte au fond de son regard endormi.
C’était toujours avec une pointe de déception que Manu la regardait couvrir ce
corps qui, nu, quelques instants plus tôt, se vautrait sous les couvertures
encore porteuses des effluves de leurs ébats nocturnes. Peu à peu, les
souvenirs jaillissaient en lui, le tirant de sa torpeur matinale. Les courbes
de sa douce semblaient fossilisées dans la paume de ses mains et le parfum de
son antre, imprégné sur sa verge. Comme le sang qui affluait par secousses de
son cœur vers l’ensemble de son organisme, son désir reprenait vie, battant,
rythmé, presque violent. Frustré de constater que son envie ne serait assouvie,
il choisit de replonger dans un sommeil faussement satisfaisant vue l’ampleur
de l’élancement qui sévissait déjà en son bas-ventre.
***
Lorsqu’elle sortit, le froid la happa. Les cils couverts de
glace, les épaules crispées, elle avançait péniblement, aveuglée par la lumière
crue de cette énième tempête de février. Le contraste avec la chaleur feutrée,
tamisée de son appartement la dérangea profondément. Déjà, elle eut envie de compter
les heures qui la séparaient du moment où elle aurait à nouveau le loisir de se
blottir contre la dos musclé de son amant, le nez collé à sa nuque. Les
trottoirs, empêtrés d’une épaisse couche de neige dense et mouillée, faisaient
la vie dure aux piétons. Ces derniers préféraient marcher en pleine rue et les
automobilistes, conciliants, partageaient volontiers la chaussée semi dégagée.
Clémence trouvait toutefois un certain charme à ces matins apocalyptiques.
Momentanément, Montréal se parlait : de toutes parts fusaient des
initiatives de bon voisinage qui auraient tôt fait de s’évanouir avec les
premières notes de la sirène de la déneigeuse. Dommage que cette solidarité
soit si éphémère. Autrement, peut-être ses fantasmes de quitter la ville pour
s’installer au fin fond d’un rang, loin de l’indifférence aveugle des gens trop
habitués à s’empiler les uns par-dessus les autres, cesseraient de s’accroître
en fréquence et intensité. Et peut-être ses discordes avec celui qui partageait
sa vie, et qui a grandi sur l’asphalte des étroites ruelles, observeraient la
même courbe… C’est absorbée par ses réflexions que la belle poussa les portes
battantes de la station de métro.