Sans relâche depuis le matin, elle avait fait jouer en boucle
le même album. Chaque fois, la huitième piste sautait un peu et elle devait
appuyer sur le dessus de son lecteur CD pour que le disque ne s’interrompe pas.
Tambourinant sa table de travail de ses ongles fraîchement vernis, Anaïs
suivait le rythme des cuivres en révisant une dernière fois ses notes
d’économie. Elle s’était promis d’avoir terminé son étude avant de quitter pour
le spectacle. En bon chien de Pavlov, se récompenser du travail accompli lui
procurait un sentiment de légèreté et de fierté: mérité, le plaisir de la
soirée s’en trouverait décuplé.
Et du plaisir, comme elle en éprouvait lorsqu’elle paradait
devant le miroir ! Sa routine de coquetterie l’amusait grandement. La
brunette ébouriffait d’abord quelques mèches de ses cheveux indomptés, puis les
vaporisait d’un jet de fixatif. Enfin, elle étendait un bon trait de khôl noir
sous les yeux pour se donner un air je-m’en-foutiste savamment cultivé. Il faut
dire que ça lui réussissait plutôt bien.
Olivia et elle s’étaient donné rendez-vous au terminus.
Chacune descendait de l’autobus qui les tirait de leur banlieue respective,
puis s’engouffrait avec enthousiasme dans la navette qui les emmènerait à
Montréal. Bien calée dans son banc, les pieds accotés sur le dossier d’en face,
Olivia fouillait dans son lecteur MP3 afin de trouver la trame qui
accompagnerait parfaitement leur trajet. Elle s’en faisait toujours un devoir.
De ses petits doigts agiles, Anaïs s’affairait plutôt à égrener l’herbe
qu’elles fumeraient en direction du bar où performait ce nouveau groupe
coqueluche de la scène underground.
***
Pour l’une comme pour l’autre, ces moments de fuite vers la
ville étaient devenus nécessaires. De sorties sporadiques et improvisées, leurs
rendez-vous se faisaient plus annoncés, plus attendus. C’est lorsqu’elles quittaient la
couronne nord et qu’elles s’enfonçaient dans la noirceur et l’anonymat de la
métropole que les jeunes filles avaient l’impression d’être vraies. Exit le
décorum guindé du collège privé d’Olivia et les discussions sans fin imposées
par les parents psychothérapeutes d’Anaïs. Tout ce que cette dernière
souhaitait, c’était de pouvoir écouter son cœur, ses envies et la musique trop
forte qui ferait bientôt vibrer sourdement l’ensemble de son corps. Et ne pas
avoir à expliciter. À décortiquer. À rationaliser. À partager.
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