Toute la journée, il avait trituré le bout
de ses crayons à mine. Chaque item de son coffre portait à présent les marques
de ses dents bien droites et le goût du graphite lui restait en bouche. Aucun
autre moyen ne s’était prouvé aussi efficace pour évacuer le stress qui
l’envahissait depuis la veille. En effet, presque douze heures s’étaient
écoulées depuis le moment où, en proie à l’insomnie, Lucas avait finalement
pris sa décision. La décision la plus importante de toute sa vie. Celle qui
aurait irrémédiablement des répercussions sur la suite de son existence.
Assis à son bureau, ses jambes
d’adolescent coincées sous la petitesse du mobilier scolaire, il fixait sans
cligner l’horloge au-dessus de la porte. Piégé par une attente sur laquelle il n’avait
aucune emprise, il ne pouvait déroger son attention du tic tac de la trotteuse
résonnant trop fort en lui. Battement après battement, Lucas s’accrochait à cet
espoir tonitruant de voir sa peine enfin levée.
Depuis l’aube, son plan avait été décliné
en mille et une versions. Dans sa forme ultime et optimale, telle une
chorégraphie bien orchestrée, chacun des gestes qu’il poserait, chacune des
paroles qu’il prononcerait avait son intention dramatique. Il ne pouvait certes
se permettre de laisser au hasard ce destin qu’il tenait à présent, il en était
bien certain, au creux de ses mains.
***
La cloche sonnée, il ira la rejoindre,
fidèle à leur habitude, au skatepark. Aujourd’hui, toutefois, il ne la laissera
pas guider la conversation au gré de ses humeurs. Non. Il doit d’abord lui dire
qu’il n’en peut plus de faire semblant de trouver ça beau quand elle le
surnomme « mon frère ». Il ne souhaite pas rencontrer sa nouvelle
amie avec qui il « s’entendrait si bien ». Il ne veut plus qu’elle
lui raconte ses fins de soirée avec Adam ou Jérôme ou Hugo. Il ne supporte plus
de se retenir de l’embrasser lorsqu’il la prend dans ses bras pour
consoler son millième cœur brisé.
Il doit lui dire tout ça.
Ou bien il partagera un pétard avec elle
en jasant de cinéma.
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