Son bas était déchiré. Une microfissure dans le nylon
laissait deviner la pâleur laiteuse de sa cuisse. Ce détail serait sûrement
resté inconnu à Jean-Philippe s’il n’avait pas longuement étudié chaque
parcelle de son anatomie. Il l’avait tant reluquée qu’il connaissait maintenant
par cœur chacun des faux plis de son chemisier de coton blanc et les marques de
craie sur l’arrière de sa petite jupe fleurie éveillaient en lui une vigueur
qu’il ne se connaissait jusqu’alors. Il ignorait comment elle y arrivait, mais,
chaque jour, ses vêtements conservaient les vestiges d’un tableau noir blanchi
par les formules et théorèmes. Comme il aurait souhaité pouvoir assister à ces
moments où, avec aplomb et délicatesse, elle décortiquait l’essence du
programme aux trente corps trop grands, trop mous, trop blasés assis dans sa
classe !
Depuis les huit mois qu’elle avait déposé ses boîtes dans
l’école, l’ambiance du département avait changé. À ses yeux, elle était venue
saupoudrer une touche de fantaisie entre ces mûrs de béton insipide. Jamais
l’idée de prendre son premier café du matin en compagnie des collègues n’avait
traversé l’esprit de Jean-Philippe, lui qui arrivait tout juste avant la cloche
annonçant le début des cours. Jamais non plus il n’avait senti de réelle
connexion avec un autre membre de son espèce enseignante, lui dont la solitude
gagnait chaque année un peu plus de terrain. Avant elle.
***
C’était jour de printemps. Les fenêtres ouvertes de la salle
des enseignants laissaient une chaude brise envahir la pièce. À l’occasion, une
bourrasque faisait voler les feuilles qui jonchaient son bureau surchargé et
son rire de cristal résonnait quelques secondes, le temps qu’elle remette de
l’ordre dans ses piles d’examens. Il la soupçonnait d’apprécier secrètement ce
manège puisque, toujours, le même scénario se répétait. Il lui était déjà venu
en tête de lui proposer son agrafeuse en guise de presse-papier, mais alors, il
se serait privé du plus beau des spectacles.
L’esprit en cavale et le cœur en floraison, il quitta le
bureau pour regagner sa salle de classe. Il lui restait deux périodes à
enseigner avant la fin de la journée. Et quarante-trois jours d’école pour
l’aborder.
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